Petit commentaire sur le poème ''le drame'' d'Amable Tastu (in ''Poésies nouvelles'', 1835)

Publié le par Claire Antoine

Triptyques matin, midi et soirTriptyques matin, midi et soir

Triptyques matin, midi et soir

       Amable la romantique désenchantée, et la tentation (avortée) de l'hédonisme

                                            "Omnia est vanitas" et pourtant...

Dans le poème intitulé "le drame", la poète, met, ironiquement  et ""masochistement"", en scène un personnage sous les traits flous duquel se dessine la figure des femmes auteures du début du XIXe siècle, mais aussi, sa figure à elle et ses difficultés à admettre qu'elle n'est peut-être pas si détachée qu'elle le croit des plaisirs d'un monde centré autour de l'écriture et de la littérature "industrielle" où émergent  le roman et la presse. 

           Une sorte de morale, pour se mortifier un peu, et sourire d'elle-même, parce que ce monde-là est quand même tenu par les Victor Hugo et consorts qui ont du mal à accepter les femmes auteures dans leur orbite, et les amis pour lesquels Amable écrit, le savent. 

       " Le drame", inspiré sans doute par On ne badine pas avec l'amour, * de Musset, (1834),  se présente sous la forme d'un long texte en vers, en trois parties, trois actes dont le rideau s'ouvre chaque fois très classiquement, sur un moment différent du jour, depuis ses "premiers feux", puis ceux du soleil de midi, jusqu'au soir où "le soleil se couche". Chaque acte symbolise avec une apparente soumission à des règles de composition faites pour un développement argumentatif,  les étapes d'une vie : la prime jeunesse, l'âge adulte et l'âge mûr qui ont chacun leur manière particulière d'aborder la création poétique. Car si Musset l'a bel et bien inspirée, ce n'est pas d'amour dont elle parle, mais de gloire, de reconnaissance ...On ne badine pas avec ça non plus, pour Amable ! 

Une sorte de rêve en triptyque, dans une tonalité globale désenchantée et  ironique, traversée par d'autres registres, lyrique, pathétique, épique et dramatique.  

Ce « drame », c'est celui d'une femme, poète  qui va, comme dans un rêve, se dédoubler, se regarder et s'entendre fustiger des attitudes, qu'en fait, elle envie.   

Une voix impérieuse, anonyme, surplombante, qui équivaut peu ou prou, mais en moins bavarde, à celle de "l'ange gardien" du premier recueil de l'auteure va régler laconiquement le tempo de l'action.  

 Chaque vision commence par  une description. On va ainsi passer 

des "frais accords"..."de mille oiseaux"..., "des couleurs du précoce avril", où il sera question d'amour et de poésie, 

par   "les flancs escarpés" "au sommet hardi" "d'une montagne aride, immense et nue", où le thème traité sera celui de la gloire littéraire,

jusqu'aux agapes édéniques avec les élus, si on a la chance d'être arrivé au sommet ...

( Il faudrait ici ajouter et creuser l'apport de La divine Comédie de Dante  - qui suscita l'admiration de Balzac et de Victor Hugo - quand les pénitents gravissent la montagne, jusqu'au Paradis.  La montée est ponctuée de rencontres jusqu'à ce que  Béatrice  vienne alors chercher le poète pour le guider "vers les étoiles".)

Chaque description est suivie par "un poème dans le poème", qui sort des lèvres du "personnage-poète" de la vision, dont le ton sera de plus en plus critique et emporté,  au fur et à mesure que sa vie passe. 

Chaque poème va être, lui, structuré en deux parties, une sorte de longue concession suivie d'une timide, et plaintive réfutation qui n'aboutira pas. 

La voix s'adressera tout d'abord  à un destinataire pluriel comme une "bonne petite " moraliste, en variant les sentiments, dans le premier poème elle est émue, pour s'adresser à la jeunesse, "troupe idolâtre...matinale", dans le deuxième, elle s'adresse "affligée" à la "foule" de midi, dans le troisième, c'est avec dédain qu'elle interpellera la "tourbe" du soir.  Ses propos vont chercher à mettre en garde, en portant des jugements moraux de plus en plus sévères, chaque âge face aux excès du monde, aux joies et désirs terrestres, qui ne sont qu'illusion, selon une morale venue d'une éducation sévère, pessimiste, stoïcienne,  où la terre est une vallée de larmes, où l'âme et le corps de l'être humain ne s'accordent pas, et où tout finit mal ...

Et dans une courte deuxième partie, elle réfutera, en quelque sorte, les arguments qu'elle a mis tant d'ardeur à formuler.

Ainsi, après avoir condamné un comportement considéré comme négatif, néfaste, qui mène aux portes de l'enfer, elle va renverser son point de vue, se laisser gagner par le désir revenu de cueillir, sans différer les roses/les rameaux d'or, de l'amour, de la poésie et du succès...Elle ose formuler et réclamer assez brusquement, de vivre tout ça, quand même !    D'autant, souligne-t-elle, que ces bassesses et autres exactions morales, la mémoire a la grâce de les oublier...Elle formule, in fine, un désir d'agir qui s'assume, presque, et trop tardivement. 

Entre penser, juger, réfléchir et agir, entre l'âme et le corps, il faut choisir vite !!!

« Il est trop tard ! ». La sentence tombe comme un couperet. Le temps est passé, elle a trop hésité, elle a été trop sage, et la voix supérieure ange gardien, sur-moi ou divinité à la fin de chaque acte, coupera court à toute velléité de sa part de rejoindre le cortège de ceux que, finalement, elle envie.  La vie brève et limitée, passe si vite et il serait vain d'essayer de retenir,  ou alors peut-être en vivant,  intensément, sans réserve, en en acceptant tous les inconvénients, le présent, "en cueillant le jour", comme le prône la morale hédoniste que Ronsard , entre autres,  reprend d'Horace, dans une interprétation erronée d'Epicure... 

                                                      Addenda

                                          Concession et réfutation

La dernière strophe, en particulier, fait penser au portrait caricatural des hommes et des femmes du monde de la tirade/plaidoyer de Perdican, le tentateur, dans l'acte II scène V de "On ne badine pas avec l'amour de Musset".

*Camille, endoctrinée par les sœurs du couvent toutes victimes d'amours malheureuses, a appris à ne pas avoir confiance en les hommes. Elle a pris la décision d’y retourner et de vouer sa vie à Dieu.

Perdican : "Adieu, Camille, retourne à ton couvent, et lorsqu’on te fera de ces récits hideux qui t’ont empoisonnée, réponds ce que je vais te dire : Tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux ou lâches, méprisables et sensuels ; toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et dépravées ; le monde n’est qu’un égout sans fond où les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange ; mais il y a au monde une chose sainte et sublime, c’est l’union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux. On est souvent trompé en amour, souvent blessé et souvent malheureux ; mais on aime, et quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière, et on se dit : J’ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois, mais j’ai aimé. C’est moi qui ai vécu, et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui." 

 

 

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